03/01/2014

TEXTE DE FRANÇOIS BONNEAU - PRIÈRE À L'ÉPLUCHE-LÉGUME - VASES COMMUNICANTS - JANVIER 2014




Par la fenêtre de son bureau gris, le végétal lui parlait. Par bribes, par courants d’air : une tentative indéniable de dialogue. Ça n’était pas une première. Tant de bourgeons et de feuilles mortes pour autant de signaux. Tant de mouvements de branches.

Mais cette fois, décidé, il aurait le cran de lui répondre, à ce végétal touffu. De se faire enfin comprendre, sans animosité. Mais pour espérer l’égal à égal avec l’être de sève, il faudrait du nu à nu. L’arbre, en face, avait déjà rempli ce contrat. Pas lui. Hors de question de s’adresser aux branches, aux nids, sans une vraie de vraie nudité. 

Car il lui fallait la nudité sincère. Ce qui ne voulait pas dire apparaître, vulgairement, sans le moindre vêtement. Non. Dévêtu, il se sentait encore bien trop couvert. Et sans vraie blancheur, rien n’était possible. Mais il n’était pas vraiment blanc, ni noir, juste humain comme un benêt. 

Enfin, qu’on la voit donc, cette pauvre peau : veinée, tachée, striée de poils hirsutes et de grains de beauté, pas même capables d’offrir une vraie constellation. Il n’aurait, c’est certain, aucun dialogue à ce prix. L’immaculé ou rien, clama t-il, pour amorcer le dialogue. Un tremblement infime parcourait ses omoplates, jusqu’au bout des phalanges. Il ouvrit les tiroirs, maladivement, en sortit un couteau éplucheur. Et il commença son office, par le bras gauche. Il se débarrassa de son superflu, c’est à dire de lui-même. Il s’éplucha sans hurler, croyant se végétaliser, écorchant son être, espérant des racines qui ne pousseraient pas. Enfin, mains jointes et privé de toute sève, il envia l’arbre haut qui ne put rien pour lui. 

De loin, à ses pieds, on aurait pris un morceau de chair sèche, sur l’épluche-légumes désormais ravagé, pour un bout d’écorce tendre.

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Commencer l'année à reculons. à tâtons, comme pour retenir 2013 entre nos mots. François Bonneau m'offre un peu tardivement un texte à écouter et lire : "Prière à l'épluche-légume".
Il s'agit de notre deuxième échange et je suis heureuse de renouveler à ses côtés l'expérience des vases communicants.


Vendredi 3 janvier, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants est également dressée par Brigitte Célérier, à retrouver et parcourir ici




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